Synopsis : Dans un petit village reculé au nord du Québec, les choses ont changé. Certains habitants ne sont plus ce qu’ils étaient. Leurs corps semblent se décomposer et ils développent une soudaine attirance pour la chair fraîche. On les appelle « les affamés ». Une poignée de survivants s’enfoncent dans la forêt pour leur échapper.
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Lâchées dans la nature depuis un demi-siècle, les progénitures de George A. Romero ont fini par infester la totalité du paysage audiovisuel. Vecteur d’un message politique, objet d’un traitement parodique ou tout simplement source de divertissement horrifique, la figure du zombie contamine tous les médias sans faire le distinguo entre petit et grand écran. Une omniprésence qui anime l’éternel débat de la surexploitation et de l’épuisement créatif des films du genre. Dès lors, le monde des morts-vivants se divise en deux catégories : les réalisations de qualité, à l’image de l’excellentissime Dernier train pour Busan, et celles dont on aura l’indulgence de ne pas citer pour mieux les oublier… Par chance, Les Affamés se place dans la première catégorie. Prix du meilleur film canadien au Festival du Film de Toronto et fraîchement récompensé du Prix du Jury lors du dernier Festival du Film Fantastique du Gérardmer, où il fût chaleureusement accueilli par ses festivaliers, le dernier long-métrage du méconnu Robin Aubert (Saint-Martyrs-Des-Damnés, À l’origine d’un cri) surprend de prime abord par son étrange beauté. Sans les fioritures et les artifices coutumiers du genre, le cinéaste accorde toute sa confiance aux décors naturels d’une région renfermée de la province de Québec pour installer un curieux malaise. L’écrin de verdure et ses images bucoliques et rassurantes d’un champ ou d’un sous-bois éclairées à la lumière du jour se transforment au travers de sa mise en scène en un enfer vert sombre et menaçant. En jouant de cette manière avec les émotions contraires, Robin Aubert impose un sentiment d’insécurité permanent redoutable d’efficacité.
Ce don pour assembler et confondre ce qui est naturellement opposé ne s’arrête pas là. Partant d’un postulat on ne peut plus sérieux, le réalisateur ne se refuse pas quelques traits d’humour. Empli de séquences haletantes, froides et tragiques, Les Affamés créé le décalage en lorgnant occasionnellement sur le comique absurde et en rebondissant sur des dialogues bien sentis. Là où certaines productions perdraient toute crédibilité en s’essayant à ce jeu dangereux, l’œuvre du québécois trouve un équilibre étonnamment cohérent. Car l’humour, bien loin d’être gratuit, est utilisé avec parcimonie à des fins dramaturgiques. Désemparés par ce qui les entoure, les survivants se protègent avec ces rares moments de légèreté pour ne pas céder au désespoir. Ces personnages taiseux et impénétrables permettent de révéler toute la profondeur de jeu et la qualité d’interprétation de cette distribution menée par Marc-André Grondin (L’homme qui rit), Monia Chokri (Laurence Anyways), Micheline Lanctôt, Marie-Ginette Guay et Brigitte Poupart, sidérante dans le rôle d’une femme animée par l’esprit de vengeance.
Dans son hommage discret au regretté père des films de morts-vivants, Robin Aubert prend habilement le contre-pied des zombies putréfiés des productions actuelles en humanisant délibérément les individus infectés. En les nommant ingénieusement « les affamés », le réalisateur cultive l’ambiguïté sur la nature de ses créatures, ouvrant ainsi la voie à une critique de notre société moderne. En dépit de quelques longueurs au terme de son dénouement, Les Affamés est l’agréable surprise de ce début d’année. Si les morts-vivants ont plus que jamais le vent en poupe, ce long-métrage québécois a eu le nez creux en contournant les aléas de l’exploitation en salles pour être diffusé à l’international par Netflix, plateforme sur laquelle il aura l’opportunité d’avoir la visibilité qu’il mérite.
- LES AFFAMÉS (The Ravenous)
- Chaîne / Plateforme : Netflix
- Diffusion : 2 mars 2018
- Réalisation : Robin Aubert
- Avec : Marc-André Grondin, Monia Chokri, Charlotte St-Martin, Micheline Lanctôt, Marie-Ginette Guay, Brigitte Poupart, Édouard Tremblay-Grenier, Luc Proulx…
- Scénario : Robin Aubert
- Production : Stéphanie Morissette
- Photographie : Steeve Desrosiers
- Montage : Francis Cloutier
- Costumes : Julie Charland
- Musique : Pierre-Philippe Côté
- Durée : 1h40