Le documentaire Close Encounters with Vilmos Zsigmond, consacré au prestigieux directeur de la photographie, a été présenté en première mondiale à Cannes Classics lors du 69e Festival de Cannes. CineChronicle a rencontré son réalisateur, Pierre Filmon, qui signe ici son premier long métrage documentaire.
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CineChronicle : Comment est né ce projet ?
Pierre Filmon : Si je suis réalisateur, je n’en vis pas encore. Je travaille depuis de nombreuses années comme projectionniste au cinéma Grand Action à Paris. Ce projet est né dans ma cabine. Dans le cadre de leur ciné-club, les étudiants de l’ENS Louis-Lumière organisent une fois pas mois une rencontre avec un professionnel du cinéma, qui met en lumière les hommes de l’ombre, à savoir les directeurs de la photographie. En 2011, Darius Khondji est venu présenter Seven de David Fincher. En attendant que la salle se remplisse, je l’ai abordé et invité à venir en cabine, une chose que les chefs op’ aiment bien généralement. On a bavardé et sympathisé. Je lui ai parlé d’un scénario de long métrage que j’ai écrit, A Dream Last Night, et pour lequel je souhaitais qu’il soit le chef opérateur. Mais compte tenu de son emploi du temps, ce n’était pas possible. Alors il m’a demandé à qui d’autre je pensais ? Je lui ai fait part de mon rêve : rencontrer Vilmos Zsigmond, qui est pour moi le plus grand directeur de la photographie. Je ne sais pas pourquoi. C’est quelque chose d’inné, d’instinctif, pas d’intellectuel, je ne suis pas chef opérateur, mais cinéphile avant tout.
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CC : Le contact a donc été établi par Darius Khondji…
PF : Il a envoyé mon scénario à Vilmos Zsigmond et quelques jours plus tard, je recevais un mail dithyrambique de sa part dans lequel il me donnait son accord pour faire la photographie du film. Un grand moment d’émotion. Je l’ai appelé. Nous nous sommes ensuite rencontrés, il est venu au Grand Action où il est intervenu en octobre 2013, entre la projection des Portes du Paradis de Michael Cimino et Délivrance de John Boorman. En attente des financements, je lui ai proposé de faire une film sur lui. Il m’a dit oui. Jusqu’au bout, tout le temps. Je lui suis redevable de tout.
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CC : Pourquoi Vilmos Zsigmond en particulier ?
PF : Je n’ai pas un parcours de cinéphile classique. Je ne viens pas du sérail du cinéma. Je viens d’un milieu très provincial. Au départ, le cinéma était un monde très lointain et j’y suis venu très tard. Je suis arrivé à la cinéphilie un peu par hasard, elle n’est pas liée à un souvenir d’adolescence qui m’aurait marqué très fort comme c’est très souvent le cas. J’ai ainsi été amené à voir, sur une durée très courte, une série de films des années 1970 dont le nom du directeur de la photographie m’a sauté aux yeux. C’était une garantie de la qualité. Un film éclairé par Vilmos avait pour moi 90 chances sur 100 d’être un bon film. Après, j’en ai découvert beaucoup d’autres. Mais Vilmos était le seul dont j’allais voir systématiquement le film dès lors que je savais qu’il en était le directeur de la photographie.
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CC : Comment avez-vous conçu le documentaire ?
PF : Je n’avais aucun financement, mais j’ai décidé de faire ce film coûte que coûte. Je me suis lancé comme un avion en espérant que quelqu’un me tende un parachute, certain de ma bonne étoile. Je n’avais pas d’idée préconçue, si ce n’est que je devais être à la hauteur de mon sujet et mettre la barre très très haut. Je connaissais très bien sa vie, sa carrière et ses films puisque j’avais organisé une rétrospective au Grand Action en mai 2014. J’ai commencé à le filmer à cette occasion. Je suis parti de sa chronologie, ce qui était le plus simple. Le documentaire s’est ainsi construit petit à petit. Après ses interventions publiques, j’avais très envie de recueillir la parole d’autres directeurs de la photographie qui me parleraient de lui et de réalisateurs qui avaient travaillé avec lui. Mais les États-Unis, c’est très loin, et n’ayant pas l’argent nécessaire, il n’était même pas envisageable que je m’y rende. Autour de moi, on me disait également que je n’arriverai jamais à faire un film sur un directeur de la photographie sans des extraits de films. Un extrait coûte 8.000 $ la minute… Pourtant, il n’était pas question que je renonce. Et puis les choses se sont mises en place progressivement. Jean-Francois Moussié de FastProd, puis, plus tard, Marc Olry de Lost Films, qui m’a proposé non seulement de distribuer le film en salles mais aussi de le coproduire, ont rejoint le projet. À partir de ce moment-là, je pouvais prendre un billet d’avion pour les États-Unis. Une autre porte s’ouvrait.
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CC : Le projet a pris alors une autre dimension…
PF : Si j’avais désormais la possibilité de rencontrer et de faire parler d’autres personnes, j’avais toujours en tête que ce soit vivant, juste, vrai. Il n’était pas question de poser la caméra et d’attendre que ça se passe. Il fallait trouver des idées pour dynamiser tout cela. Vilmos aimait travailler avec des réalisateurs qui improvisent. Il le déclare lui-même dans le film. Je me suis dit que c’était cohérent avec ma façon de travailler et il appréciait. C’est ainsi que des coups de chance nous sont arrivés, car nous étions très souvent dans l’improvisation pratiquement tout le temps, sauf par exemple quand nous avions rendez-vous avec Vittorio Storaro qui avait été planifié trois semaines auparavant.
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CC : Concernant les extraits de films avez-vous eu des problèmes de droits finalement?
PF : Non pas vraiment. À partir du moment où nous avons pu bénéficier de ce miracle du droit de citation (« fare use »), grâce à une juriste américaine, aucun film n’a été écarté pour une question de droits, en dehors d’un seul film de sa période hongroise, car le distributeur nous demandait une somme exorbitante. Des choix ont été faits, mais ce n’était pas plus compliqué d’avoir Rencontres du Troisième Type de Steven Spielberg, que La Flambeuse de Las Vegas de Don Siegel, qui n’a pas été retenu finalement. Si aux États-Unis le droit de citation s’applique aux images et aux photographies, en revanche, pour la musique c’est plus délicat.
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CC : Au montage, avec ces entretiens et ces extraits, comment avez-vous assemblé les différentes pièces du puzzle ?
PF : Pendant les six mois de montage, c’était le casse-tête de choisir l’extrait le plus juste, qui convienne le mieux. C’était le défi permanent du bon choix de la bonne image. J’étais tenté de retenir des films peu connus mais dans lesquels il y avait quand même des choses intéressantes. Marc m’a conseillé d’évoquer des films « plus parlants » afin de toucher le plus large public. Ce n’est pas un film sur les chefs op’ pour les chefs op’ . J’ai eu l’ambition, peut-être prétentieuse, de plaire à tout le monde avec ce documentaire. Pour revenir au montage, je n’avais pas une quantité de rushes aussi importante que cela. 40 heures environ. J’aime tourner à l’économie. Néanmoins, 40 heures cela veut dire qu’il reste 38 heures ½. II fallait donc faire des choix. Assez vite, j’avais ma bande son. C’est le montage image qui a évolué. Le premier montage se terminait sur Rencontres du Troisième Type. Steven Spielberg m’avait promis une vidéo, qui était pour moi le clou du film. C’était convenu avec son assistante. J’ai attendu pendant un an, mais la vidéo n’est jamais arrivée. En septembre 2015, devant cette situation, il a fallu trouver autre chose. La matière était là, mais je n’avais pas 5 heures pour un documentaire, mais 1h40. On arrive finalement à 1h20. Je n’ai pas enlevé beaucoup de choses. J’ai essayé de parvenir à une version la plus riche, la plus dense, la plus satisfaisante possible pour le spectateur afin de lui raconter un maximum de choses en un minimum de temps. « Il est compliqué de faire simple »… mais c’est l’objectif que l’on doit avoir.
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CC : On le voit dans le documentaire, Vilmos Zsigmond n’était pas que directeur de la photographie, il avait également une conception de la réalisation…
PF : C’est exact, même s’il n’a réalisé qu’un seul long métrage, The Long Shadow, sorti en 1992, avec Liv Ullman et Michael York. D’ailleurs, Jerry Schatzberg (L’épouvantail) dit de lui « Vilmos n’était pas qu’un simple chef opérateur, c’était un penseur derrière la caméra. Il suggérait tout de suite une idée et je savais qu’il avait lu le scénario, que l’histoire l’intéressait. Si l’interprétation n’était pas bonne alors qu’il était derrière la caméra, il me disait : Il manque quelque chose… Il s’intéressait au scénario, aux comédiens et il s’inquiétait toujours de la réaction du public « .
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CC : Avez-vous des projets après ce premier film ?
PF : Un documentaire sur Vittorio Storaro, directeur de la photographie d’Apocalypse Now de Francis Coppola et de CAFÉ SOCIETY de Woody Allen. Un autre grand Monsieur et je n’ai pas intérêt à rater mon coup. Ce sera autre chose par rapport à ce documentaire. Et puis, il y a aussi un long métrage de fiction, A Dream Last Night qui est toujours en attente de financement. J’espère que cela aboutira et qu’on le tournera en Floride comme prévu. Mais avant, c’est un autre projet de fiction qui devrait voir le jour. C’est encore un titre anglais, Long Time No See, avec Mélanie Doutey et Jonathan Zaccaï, dont le tournage pourrait démarrer dès cet été.
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Entretien réalisé à Cannes, le 15 mai 2016
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>> LIRE NOTRE CRITIQUE DU DOCUMENTAIRE <<
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- CLOSE ENCOUNTERS WITH VILMOS ZSIGMOND écrit et réalisé par Pierre Filmon en salles en novembre 2016.
- Avec : Vilmos Zsigmond, Peter Fonda, Jerry Schatzberg, John Boorman, John Travolta, Nancy Allen, Ivan Passer, Mark Rydell, Vittorio Storaro, Haskell Weller, Darius Khondji, Pierre William Glenn, Isabelle Huppert…
- Production : Pierre Filmon, Jean-François Moussié
- Photographie : Olivier Chambon (Paris/Budapest), James Chressanthis (Etats-Unis), Luca Coassin (Rome), Marie Spencer
- Montage : Charlotte Renaut
- Son : Pascal Ribier, A. Tad Chamberlain, Julien Séna
- Musique : Samy Osta
- Distribution : Lost Films
- Durée : 1h41
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